ArtKopel est une galerie et un jounal culturel en ligne
≡ Peinture![]() 15 octobre 2007 Olivier Debré, la traversée du gris
Rétrospective au Musée des Beaux-Arts d’Angers « J’ai commencé à vouloir que la couleur parle en elle même, dans sa qualité propre ; que ce bleu-gris agisse avec son pouvoir de bleu-gris. » [1] Je voudrais traverser le gris, j’aimerais nommer les couleurs sous le gris, en arrière du gris, je ne le puis. Si je nomme le jaune, alors le gris disparaît de mes yeux, et je ne vois plus rien. Ma parole nomme une couleur et ma tête est comme coupée du monde, elle se crée la couleur dans son for intérieur... mais je ne suis plus devant le tableau qui me tend le gris. J’aimerais voir les couleurs, traverser le gris pour voir... Il est sans forme, sans aspérités, si ce n’est comme une blessure sur la toile, où le blanc transparaît, ou plutôt, ouvre le monde. « Il ne faut pas avoir le désir conscient, concerté, volontaire, des impressions. Ce qui m’intéresse, c’est que la part de moi qui peint soit une part d’individu sensible et ému, que la chose, en quelque sorte, passe à travers moi et que je la domine intellectuellement, que je guide son développement, mais qu’elle marche seule. C’est ainsi que je deviens un élément de la nature, je deviens un quelque chose qui est manié. Quand je suis comme le vent, la pluie, comme l’eau qui passe, je participe à la nature et la nature passe à travers moi. Je pourrais le faire les yeux fermés. » [2]
La toile est grise, avec des traînées, comme en une pluie. Il y a comme une blessure sur la toile, un empâtement, tracé avec un couteau (est-ce un hasard ?), qu’ouvre le blanc. Ici résonne l’écho lointain des dessins du Mort de Dachau (1945), là où le blanc troue le noir, comme la blancheur des os raie la terre. Résurgence dans la toile de quelque chose comme une douleur, qui se fraie un chemin, traverse les temps du peintre, à travers les émotions, les impressions. Quelque chose a traversé le gris pour venir jusqu’à nous : une inquiétude, une pâleur. Entrée du deuxième chœur de l’Antigone de Sophocle : Ce « il » inconnu, Sophocle l’avait esquissé dans les deux vers précédents : En pleine guerre de Germanie, non loin de l’embouchure du Rhin, Germanicus César ordonne à Publius Vitellius de conduire la deuxième et quatorzième légion le long de la côte. Une tempête survient qui emporte les colonnes, mêlant les eaux et le rivage. « Les hommes sont renversés par les lames, engloutis par les gouffres (...). Les soldats émergent tantôt de la poitrine, tantôt du visage, parfois le sol se dérobant sous leur pieds, ils sont jetés ça et là ou submergés... », Tous pris dans la violence des éléments qui se mélangent, « tout est roulé ». La nuit vient et ils réussissent à se regrouper sur un petit monticule de terre. Ils passent la nuit sans feu, dans le froid, meurtris. Au matin, nous dit Tacite [6], lux reddidit terram, la lumière, l’aube, la couleur, rendit la terre. C’est sans doute ce que cherchait Olivier Debré, que la couleur rendit la terre. « De toutes les anatomies, celle de l’âme est la plus curieuse ». [7]
|
[1] Olivier Debré, n.p. , Musée d’Art et d’Industrie de Saint Etienne, 1975. [2] Ibid. , entretien avec Daniel Abadie. [3] Sophocle, Antigone, v. 334 sqq , Belles Lettres, Paris, 1981. [4] Hésiode, Théogonie, v. 132 , Belles Lettres, Paris, 1947. [5] Hölderlin, L’Antigone de Sophocle, p. 42, Christian Bourgois, Paris, 1978. [6] Tacite, Annales, I-70, p.63-64, Belles Lettres, Paris, 1974. [7] Olivier Debré, Musée d’Art et d’Industrie de Saint Etienne, op. cit. |